Belgique : Musée d'Eben

Au XIVème siècle un sieur Wauthier de Bierlouz, parti en Italie tenter de se faire pardonner d'inavouables péchés, eut ouï-dire d'une chemise en paille que certains moines utilisaient en guise de cilice pour se mortifier. C'était une pratique apparamment courante dans certains monastères puisque le pénitent réussit à se procurer une de ces fameuses chemises. De retour au bercail il demanda à son épouse Berthe de détailler et reproduire le cilice. Berthe aux bonnes mains réussit ce tour de force et c'est ainsi que le tressage de la paille fut introduit en Belgique.

Nonobstant la légende, c'est bien au XVème siècle qu'apparaît à Liège la première mention du métier de tresseur comme faisant partie des 32 "Bons Métiers". En effet une ordonnance du 10 juillet 1453 assimila les tresseurs aux métiers des retondeurs comprenant déjà les vanniers et les banseliers (fabriquants de berceaux). Une tresse dont on aura recoupé aux ciseaux les petits brins qui dépassent sur ses côtés est dite "retondue".

Cette promotion du métier de tresseur ajoutée aux avancées techniques apportées par le curé Ramoux, favorisa l'essor économique de cette région dont les chapeliers n'hésitaient pas à "faire campagne" comme ils disaient, c'est-à-dire aller à l'étranger écouler leurs productions.

L'embellie dura jusqu'à l'aube du XXème siècle puis, victime des importations étrangères, notamment asiatiques, elle cessa définitivemant en 1940.

Tout ce patrimoine aurait été perdu si deux passionnés n'avaient décidé de se consacrer à la sauvegarde de la mémoire de cette industrie chapelière qui dépassa très largement les limites régionales à son apogée. M. et Mme Close cherchent, classent, trient, conservent, reproduisent chapeaux, tresses, documents photographiques anciens, archives administratives, outillages divers, tout ce qui se rapporte au travail ancestral de la paille. Pour que les générations à venir, ivres de vitesse et de productivité, prennent le temps de se poser un instant et de se rendre compte d'où elles viennent.

Cette mémoire est conservée à environ vingt kilomètres de Liège, dans la petite cité d'Eben, au :

 

Musée d'Eben

Freddy et Nicole Close

14 rue du Geer

4690 Eben-Emael

Tél : 04/286 27 90

 

Le bon curé Ramoux

Il était une fois, en Belgique, un brave homme d'église, né en 1750, que l'on pourrait qualifier, avec quelques guillemets, d'idéaliste, professant des idées avancées pour son époque. La révolution française ayant gagné la Belgique, exigea du clergé local de prêter le serment civique, comme elle l'imposa en France. De nombreux prêtres refusèrent à leurs dépens, d'autres se le virent imposer de force, d'autres enfin, considérant qu'un prêtre vivant est préférable à pas de prêtre du tout, consentirent à prêter ce serment. Ramoux était de ceux-là et c'est ainsi qu'il devint ce que l'on a appelé un prêtre jureur.

Ses idées "libérales" ne l'empêchèrent pourtant pas de prendre parti contre l'occupation française. A la demande du commandant des milices liégeoises il composa en 1790 un hymne immortel pour "expulser des foyers de nos concitoyens les ennemis de la patrie qui ont osé y pénétrer". Goûtons-en le charme :

"Valeureux Liégeois,

Fidèle à ma voix

Vole à la victoire,

Et la liberté

De notre cité

Te couvrira de gloire.

Célébrons par nos accords

Les droits sacrés d'une si belle cause,

Et rions des vains efforts

Que l'ennemi nous oppose."

Ramoux était alors curé dans la commune de Glons, dans la vallée du Geer, près de Liège. Compte tenu de la situation économique rien moins que désastreuse de cette région, cette mutation dans ce village n'avait rien d'une promotion, prix de ses engagements. Cela évoque la célèbre apostrophe du Cardinal de Richelieu à propos de Luçon, "paroisse la plus crottée de France".

Dans cette région déshéritée les habitants essayaient de survivre en tressant des brins de paille. Combien pouvait se révéler fastidieuse l'opération, mille fois répétée, qui consistait à fendre la paille à l'aide d'un couteau pour en prélever les filets nécessaires.

C'est alors que Ramoux, jamais à court d'idées, entre ses charges sacerdotales et pastorales, ses recherches historiques, ses études botaniques, ses oeuvres musicales et poétiques en français, wallon et latin, profitant de ses temps libres eut l'intuition géniale qu'il pourrait aider, soulager, améliorer le sort de ses malheureuses ouailles.

Il mit au point un ustensile, un outil qui devait révolutionner le tressage de la paille. Cet outil permettait, dans le même geste, dans le même temps de fendre le fétu de paille en de multiples filets (la tresse se fait à partir de ces filets), un outil pour un nombre déterminé de filets, de deux à six filets. Les gains de productivité, comme on dit aujourd'hui, furent inouïs car le travail était beaucoup plus rapide et les tresseurs ne se blessaient plus avec les bords très coupants de la paille.

Ramoux eut également le mérite d'inventer le moulin à paille, sorte de laminoir permettant, en faisant presser entre deux rouleaux, afin casser la chaîne molléculaire et les rendre ainsi plus souples, les filets de paille par paquets au lieu de les écraser un à un au plioir sur un coin de table.

Il est de fait que l'industrie de la tresse de paille, exercée dans la région depuis le XVème siècle, connut, dès l'apparition de ces outils, un essor prodigieux dont les effets durèrent jusqu'à la fin du XIXème siècle. La plupart des habitants de la vallée de Geer tressait à qui mieux mieux ces brins de paille revendus ensuite chez tous les chapeliers d'Europe. Jusqu'à ce que, vous savez bien, les importations...!

Taillés à la main dans des morceaux de buis, certains fendoirs étaient ornementés de gravures faites au couteau, personnalisant et l'outil et son propriétaire. Car la main est le prolongement du cerveau d'après l'antique philosophe grec Anaxagore.

Certes les Anglais vous assureront que cet outil fut inventé par l'un des leurs, Thomas Simmons, vers 1795. Mais, Outre-Quiévrain, personne n'en démordra, l'ustère, que nous appelons fendoir doit bien sa conception à ce prêtre que la population reconnaissante n'appela plus que "le bon curé Ramoux". Et ce n'est pas pour rien que les villes de Glons et de Liège honorèrent de son nom une de leurs rues.

Le bon curé Ramoux mourut en 1826, pleuré par l'ensemble de ses concitoyens.