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Paris, la Paille, l'Université, le Savoir

J'espère ne pas commettre de sacrilège suprême en mélangeant si allègrement l'Université, Temple du Savoir et de la Connaissance, avec la paille qui évoque plutôt la valetaille, l'étable ou l'écurie, bref, l'ignorance. Et pourtant!
    Il y a bien un rapport entre elles, certes fort lointain puisqu'il remonte à la création de l'Université. Et ce rapport nous est bien joliment conté par Lorant Deutsch dans son excellent livre « Métronome, l'histoire de France au rythme du métropolitain » qui vient tout juste de paraître chez Michel Lafon.
    Or donc figurez-vous que l'Université de Paris est née en plein air, place Maubert et rue du Fouarre. En effet les locaux mis à disposition des étudiants dans le couvent où professait ce dominicain allemand, maître en théologie, étaient devenus notoirement insuffisants. Il se trouve que les bords de la Seine, en l'an de grâce 1245, devenaient d'infâmes cloaques les jours de pluie; Et, à cet endroit, les bateaux qui fréquentaient la Seine, déchargeaient les ballots de paille dont on faisait grand usage à cette époque. D'ailleurs c'est la raison pour laquelle la rue du Fouarre doit son nom au mot venu du vieux français signifiant fourrage.
     Son enseignement attirant de plus en plus de jeunes gens, voilà notre dominicain cherchant un espace suffisant pour les accueillir tous, remontant sa bure à mi-mollets, entraînant ses étudiants avides de savoir sur ces rives fangeuses, pataugeant, glissant, jurant à qui mieux-mieux. Avisant les bottes de pailles jonchant la rive, demandant qu'on les ordonnât en demi-cercle, lui-même se hissant à grand'peine sur l'une d'elle, priant ses élèves de prendre place autour de lui, distillant à qui voulait bien l'entendre l'art de la rhétorique, et de la poésie, du latin et du grec et autres joyeusetés enseignées en ces temps-là, sans oublier la théologie.
    Nul besoin de tableau noir, seule comptait l'écoute attentive, passionnée que pouvaient permettre de telles conditions d'études. (Si vous consentez un petit aparté, je vous conseillerais, au cas où vous auriez des enfants en âge d'études, de ne pas leur faire lire cet article).
    N'empêche, on peut deviner les regards incrédules, parfois moqueurs, des passants, devant le spectacle édifiant donné par toute cette jeunesse assemblée, écoutant religieusement, un fétu de paille entre les dents (pourquoi pas?), un prêtre arrivé du diable Vauvert leur communiquer son savoir.
    Et que dire des matins brumeux, des jours de pluie ou de neige, trempant jusqu'aux os notre valeureux professeur et ses ouailles.
    Cette situation perdura plusieurs années car on sait que ces ballots de paille eurent l'insigne honneur d'accueillir l'illustre séant du non moins illustre Dante Alighieri venu nourrir son intellect sur les « bancs » de cette curieuse université. Remarquez, l'enseignement devait être de qualité puisqu'en est née la Divine Comédie. A moins qu'il ne lui ait inspiré que l'Enfer.
    En fin de compte l'afflux de plus en plus important d'étudiants favorisa la multiplication de collèges et d'écoles. Enfin organisés, ces établissements donnèrent naissance à ce qui fut alors appelé l'Université de Paris.
    Et les rives de la Seine, rendues à la fange et à la boue, furent alors envahies par d'accortes jeunes femmes bien disposées à pratiquer un autre type d'enseignement  et je gage que la fréquentation des lieux n'avait pas dû beaucoup baisser.
    Puis on dégagea les donzelles, on installa gibets, potences et carcans et les badauds purent à nouveau « s'incréduliser », se moquer, se repaître, s'indigner de ces nouveaux spectacles.

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