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Une Corn Dolly est-elle à l'origine de Mexico-City?

     Une tradition quasiment universelle veut que soient confectionnés, pour fêter la fin des moissons, des ornements en paille tressée. Ils peuvent être guirlandes, couronnes, rosaces, bouquets, étoiles et bien d’autres, sont appelés bouquets de moisson en France ou corn dollies outre-Manche. Marqueto a préféré le terme  anglais pour illustrer l’histoire qui va suivre car il signifie littéralement poupée de blé, ou de céréale. Quel est donc le rapport entre une corn dolly et la fondation de la ville de Mexico? demanderez-vous.
     Ce rapport s’appelle Malinalli. Pour ceux qui ne parlent pas couramment le Nahuatl, la langue des Aztèques, ce terme désigne des pailles tressées ou torsadées. En botanique il évoque le nom d’une plante de la famille des graminées, une plante dure, fibreuse, rêche, servant notamment à la fabrication des cordes. La fleur de cette plante est appelée malinalxochitl. Or ce nom est également celui de la soeur du bien connu Huitzilopochtli-Mexitli, chef déifié des turbulents Aztèques.
     Descendus du nord du Mexique, les Aztèques avaient entrepris une aventure expansionniste mettant en jeu politique, religion et économie. Leur avancée se fit lentement, par étapes, progressant à travers les marécages pour échapper aux populations locales, vivant de pêche et de cueillettes. Jusqu’à ce que Quetzalcoatl, leur dieu suprême, le fameux serpent à plumes, leur fasse découvrir les bienfaits de l’agriculture. Dès lors ils s’arrêtaient régulièrement pour planter et récolter grains de maïs et de blé. Ils ne changeaient d’endroit qu’une fois les réserves reconstituées.
     Ce nouveau mode de vie les initia aux joies de la sédentarité et ils résolurent de rechercher un lieu où se fixer définitivement. Leur quête les amena sur les rives d’un lac démesuré dont le centre était occupé par une île immense. Une femme nommée Fleur de Blé (décidemment) y donna naissance à son enfant et cet endroit est toujours appelé El Parto ou Childbirth. La pureté divine du lieu est attestée par le fait que, à l’endroit appelé Pailles et Joncs, la flore et la faune étaient tout blanc : arbres, pailles, joncs, crapauds, serpents, poissons. Quant aux cultures, elles étaient prodiges. Un homme ne pouvait porter qu’un épi de blé à la fois; les potirons atteignaient la taille d’un homme; le coton poussait de toutes les couleurs. Que de merveilles!
     Et les corn dollies dans tout ça? Nous y voici. Tant qu’ils ne faisaient que passer, les Aztèques n’attiraient que peu d’animosité à leur égard. Mais cette relative bienveillance des autochtones se transforma en conflit, éternel refrain, dès qu’il fut question d’une installation permanente. C’est ainsi qu’ils se heurtèrent aux Malinalcas, le Peuple de l’Herbe Tressée. Ce peuple vivait là depuis des temps immémoriaux et doit son nom au fait qu’il représentait sa déesse tutélaire sous la forme d’une idole de paille tressée (vous la voyez la corn dolly?). Malinalcas provient du verbe malina qui signifie torsader sur la cuisse. La province actuelle de Malinalco se situe sur les hauteurs de la vallée de Toluca, à l’ouest de l’état de Mexico.
     Usant de méthodes très persuasives, les Aztèques imposèrent à la tête de l’administration de cette nouvelle province la propre soeur du roi qui répondait au doux nom de Malinalxochitl. Adoptant les coutumes locales pour mieux se faire accepter, elle se fit déifier à son tour en poupée de paille (nos amis anglais vont être contents).
     Il en est certainement de même de ces petites mexicaines affublées, encore aujourd’hui, de ce prénom par leurs parents. Quoi qu’il en soit, et par une ironie dont l’histoire est coutumière, le profil psychologique des Malinalxochitl les présente comme sensibles, recherchant avant tout l’équilibre, l’harmonie, la paix, étant à l’écoute de chacun, ne sachant pas dire non, hésitant longuement avant de prendre une décision, tentant d’être toujours consensuelles. Et pourtant!
     La Malinalxochitl qui nous intéresse était à l’opposé de cet angélique portrait. Extrêmement ambitieuse, elle jalousait à mort son frère, le roi Huitzilopochtli qui avait su se faire aimer de ses sujets. Elle, pour se débarrasser de ses ennemis, n’hésitait pas à confectionner des breuvages empoisonnés avec des scorpions et des araignées mortelles qu’elle domestiquait dans ce but condamnable. Sorcière tyrannique, elle s’attira la haine du peuple Malinalca au point qu’il résolut de la chasser du trône.

     Ne reculant devant aucune forfaiture, elle chargea son fils Copil, Petit Chapeau Pointu, de liguer les tribus voisines pour détruire son propre peuple. Mais deux prêtres eurent ouï dire du funeste complot et réussirent à l’éventer. Pourchassant le jeune traître, ils s’en saisirent au bord du grand lac. Sans autre forme de procès, ils arrachèrent le coeur de Copil et le jetèrent le plus loin possible dans les eaux. Le coeur de Petit Chapeau Pointu atterrit en s’éclatant sur un rocher émergeant des eaux. Sortilège magique, un cactus dur, très épineux, en jaillit, sur lequel un aigle dévorait un serpent (amateurs de symboles, à vous de jouer). De fait cette scène figure très officiellement de nos jours au centre du drapeau national mexicain.
     Les Aztèques, dont nous connaissons les inclinations profondément religieuses, ne pouvaient rester indifférents devant un tel prodige. Ces évènements magiques, le cadre enchanteur et si fertile, tout concourrait à révéler à ces éternels nomades l’endroit tant recherché pour se fixer enfin définitivement. Là et nulle part ailleurs se trouverait le nouveau berceau de la nation aztèque, là et nulle part ailleurs s’élèverait leur capitale. Ainsi fut fondée la ville de Tenochtitlan, qui signifie Endroit du Cactus sur la Pierre, au centre du lac immense occupé de nos jours par la tentaculaire ville de Mexico-City.

     La capitale du Mexique est née de l'antagonisme fratricide entre Malinalxochitl, princesse très belle mais qui dévorait le coeur de ses ennemis et terrorisait son peuple pour s'en faire craindre à défaut d'adorer, et son frère, le roi Huitzilopochtli qui, lui, préférait s'attacher la faveur de ses sujets par la grandeur de ses conquêtes plutôt que par la terreur.

     Sans l'opposition mortelle entre une princesse, déesse, idole de paille tressée, et un roi, dieu, soldat, Mexico n'aurait peut-être jamais vu le jour, ou sans doute pas en cet endroit-là. Doit-on pour autant continuer à jeter l'opprobre sur ces infortunées poupées de paille, ces corn dollies comme les appellent les Anglais, devenues depuis symboles de fertilité? Ce pourquoi il leur sera beaucoup pardonné.

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