Les Rodot, à l'ombre des moyettes

Habituellement on utilise un matériau pour en obtenir quelque chose en le transformant, en le travaillant. Mais on ne se soucie que rarement de son origine, de la façon dont il est arrivé entre nos mains. Pour ce qui concerne les "paillistes" ce matériau est la paille, fût-elle de blé, de seigle, d'orge, d'avoine ou des marais. Il a bien fallu que quelqu'un l'ait semée, récoltée, mise à sécher, teintée le cas échéant, bref lui ait prodigué tous les soins nécessaires pour qu'elle arrive dans nos ateliers prête à l'emploi.

Jeanine et Jean-Jacques Rodot, agriculteurs en Saône-et-Loire, ont dédié environ vingt hectares à la culture de la paille de seigle. En effet leur exploitation est située dans une région traditionnellement vouée à la fabrication de chaises à assises de paille, entre Cuisery et Louhans, à 3 kilomètres à l'est de Tournus. Le seigle se prête volontiers à cette activité grâce à la longueur de ses segments.

Les semis sont préparés en septembre-octobre, mais la phase critique se situe dans les premiers jours de mars, début de la croissance necessitant une grande attention pour les apports d'engrais et la lutte contre les risques de maladie. Le mois d'avril assiste à une croissance rapide, de l'ordre de 5 à 8 cm par jour, et les épis apparaissent début mai. A la mi-mai la floraison se produit sur des tiges qui atteignent les 2m40 en bonnes années, mais seulement 1m50 comme en 2003, année de la terrible canicule qui accablait la France à ce moment.

Ces grandes hauteurs sont une source d'inquiétude permanente car les tiges sont encore fragiles quand les épis se font déja lourds. Dès la chute de la fleur, fin mai, début juin, la récolte peut commencer alors que les grains, non arrivés à maturité, sont encore à l'état laiteux. Attendre plus longtemps et la paille deviendrait dure, sèche et cassante. La récolte est un travail harassant qui ne peut excéder 6 ou 8 jours avant que la paille ne perde sa souplesse.

Puis elle est mise à sécher sur place, étendue à même le pré. Les interactions entre la terre, le soleil, la lune et la rosée ont pour résultat de lui faire perdre sa couleur verte d'origine qui la paraît au moment de la récolte. On appelle ce phénomène le blanchiment. Au bout d'une dizaine de jours elle est retournée à la fourche pour offrir l'autre côté au soleil. Encore 10 jours et elle est ramassée, liée en bottes.

Ces bottes, regroupées par paquets d'une dizaine, sont dressées, pointées vers le ciel en forme de huttes d'indiens appelées Moyettes, rythmant le paysage bourguignon de reliefs bien visibles en cette zone si plate.

Bien entendu toutes ces opérations restent soumises aux caprices climatiques. D'une année l'autre la paille n'a pas la même tenue ni les mêmes réactions aux agents chimiques, les colorants par exemple. En fonction des degrés hygrométriques ou, au contraire d'un fort ensoleillement qui auront parrainé sa croissance, la paille va se charger en sucre différemment, avec une incidence importante au moment des mises en teinture.

Une fois mises à l'abri dans de grands hangars, les tiges sont coupées, une par une, à chaque noeud, on en compte 4 à 5 par tiges, après avoir été débarassées de la chemise qui les enveloppe. Enorme travail de manutention, toujours effectué à la main car impossible à mécaniser à cause de l'extrême fragilité de la tige. Et puis  où serait la rentabilité d'une étude, puis de la fabrication d'une machine quand le prix de vente est relativement bas et le marché des marqueteurs bien réduit. Jean-Jacques Rodot essaie bien de trouver des solutions satisfaisantes mais, comme les essais ne peuvent être réalisés qu'en période de récolte que l'on a vue si courte, il n'est pas au bout de ses peines!

Heureusement pour lui les pailles destinées aux couvreurs sont laissées intactes.

Les fétus coupés sont liés en paquets de 500 grammes et, le cas échéant, mis en teinture dans de grands paniers métalliques par 50 kilos au coloris, baignant dans des cuves d'eau, dans lesquelles on aura délayé la quantité de pigments colorants nécessaire, eau chauffée pour un laps de temps variable selon le coloris recherché. Poids du matériau, quantité d'eau, poids des pigments, température de l'eau, temps d'imprégnation sont autant d'opérations effectuées avec le plus de précision possible car la résultat final en dépend. Toutes ce données sont soigneusement notées en vue de pouvoir être reproduites.

Rincés et séchés les fétus vont pouvoir répondre à la demande des couvreurs pour les toits de chaume, des fabricants de chaises pour la confection des assises et des mains expertes des marqueteurs de paille qui sauront en exprimer toute l'irradiante beauté.

Dans la famille Rodot, les rôles sont bien répartis : Jean-Jacques règne sur la production alors que Jeanine veille et soigne ses clients.

Pour la qualité de leur travail ils ont eu les honneurs de plusieurs publications et articles de presse, dont la revue suisse Terre et Nature.

Comme pour tout un chacun, le temps est venu de souffler un peu, d'apprécier encore plus son environnement mais également les lointains tant rêvés. La main est donc passée au fils, Jean-Luc, qui vient de reprendre le flambeau, bien décidé à faire croître et embellir une activité dans laquelle il a baigné toute sa vie.

Adressez-vous à :

Jeanine Rodot

Les Sauges

71290 Abergement de Cuisery

Tél/Fax : 03 85 51 72 48

Courriel : jeaninerodot@orange.fr

ou bien

Jean-Luc Rodot

La Froidière

71290 Abergement de Cuisery

Tèl : 03 85 51 20 53  //  Portable : 06 75 03 53 11

Courriel : rodot.j-l@hotmail.fr