La marqueterie de paille et les auteurs classiques

LA TIRADE DE MARQUETO

 

 Le visiteur : Ce n’est que de la paille ! Bottes, chapeaux de paille…

 Marqueto :  C’est tout ?...

Le visiteur : Mais…

 Marqueto :  Ah ! Non ! C’est un peu court jeune homme !

                        On pouvait dire, oh ! bien des choses en somme.

                        En variant le ton, par exemple…Tenez :

Amical : Si, céans, sont là toutes vos commodités,

On pourrait dire : c’est dans la paille qu’il est.

Militaire : Lorsqu’un soldat se rend au dépôt,

Soit qu’il y veuille prendre un bienvenu repos,

Ou qu’il y renouvelle toutes les provisions

Nécessaires à la vie de son bataillon,

On dit, on assure, on jure qu’il va à la paille

Et non qu’il ne s’y cache afin de faire ripaille.

Curieux : Mon voisin, qu’avez-vous donc dans l’œil ?

Serait-ce une paille que j’y vois de mon seuil ?

Rancunier : Ôte la poutre qui obstrue le tien,

Ne t’occupes point de ce qui est dans le mien.

Tu pourrais lire ce conseil dans les Evangiles,

Ce qu’à ne point suivre te gâtera la bile.

Envieux : De gens qui mènent grand train en tous lieux,

Même aux dépens d’autrui, ne seraient-ce que des gueux,

Est-ce que vous ne diriez pas, oh ! la belle trouvaille,

Toute lippe pendante : voilà des rats en paille ?

Dédaigneux : Certain, bien qu’ils n’aient guère d’intérêts

Véritables à défendre, de leur nom font un prêt.

Ces hommes sans considération, après ce bail

Se voient qualifier souvent d’hommes de paille.

Lyrique : Si la passion qui consume ton cœur

Ne dure pas plus longtemps que l’éclat d’une fleur,

Ce fut un feu de paille, malgré sa véhémence.

Peut-être n’as-tu pas su faire preuve de patience ?

Idéaliste : En Suisse, dans certaines vallées,

On couronne de paille la fautive fiancée

Et l’on coiffe de blanc l’immaculé tendron

Que les dents du promis très bientôt mordront.

Poétique : Ce conte est excellent. Quel travail

De versification ! Il enlève la paille!

Cavalier : Donnes de la paille comme nourriture,

Tu feras cheval de bataille de ta monture.

Fier : En français d’Alger, si rien ne t’horrifie,

Quand tu lèves la paille tu relèves un défi.

Agressif : Ces deux-là vivent en atmosphère viciée,

Ils ont rompu la paille malgré leur amitié.

Docte : A confier son sort aux seuls soins du hasard,

Tirer la courte paille ne semblerait bizarre.

Actif : D’un homme fort enrichi dans son emploi :

Il a mis de la paille dans ses souliers, ma foi.

Prodigue : Ne dit-on pas d’une dépense ruineuse :

Tout y va, paille et blé, nul besoin de faucheuse ?

Plaintif : Dans la misère on n’a plus de semailles,

D’où, cher monsieur, on se retrouve sur la paille.

Sans compter que, si la situation empire,

On meurt sur la paille, ce qui est encore pire.

Sportif : D’un archer dont la flèche manque la cible,

Il va à la paille, fait-on d’un air indicible.


Si vous aviez eu un tout petit peu de jugeotte,

Plutôt que de servir vos remarques si sottes,

Vous auriez pu devant moi développer

Ces mots, ces phrases d’une toute autre mélopée.

Votre pauvre esprit aurait pu ajouter,

N’aurait-il été plein de tant de pauvreté,

Que l’on ne peut qualifier de pierre précieuse

Ni de bon métal une matière ferreuse

Qui cacherait à nos yeux, tout au fond de son sein,

Une paille, une fissure, un accroc malsain.

Mais ne cherchez point à forcer votre talent.

Pour vous dire votre fait je ne mettrai de gants.

Car, sentant la moutarde me monter au nez,

Et voyant que, pourtant, vous vous en étonnez,

Sachez que pour moi il n’y a qu’un mot qui vaille ;

Comme on dit à Dijon : il n’y a que paille qui m’aille





Gérard Morin


Merci à monsieur Edmond Rostand et au Dictionnaire de l’Académie Française, édition de 1814.