La restauration

Question récurrente dans tous les métiers d'art, la restauration d'un objet ancien a longtemps alimenté la controverse. Jusqu'où aller? Doit-on remplacer une partie abîmée en la supprimant, la remplaçant par un matériau qui ne serait plus authentique parce que récent? Refaire à l'identique ou laisser un "blanc" à l'endroit où un morceau a disparu? Combien de chefs-d'oeuvre ont été irrémédiablement défigurés par des restaurations intempestives, en architecture ou en peinture! Au point que l'on en est contraint, aujourd'hui, à supprimer et recomposer certaines de ces entreprises hasardeuses.

Jusqu'à une époque récente, les restaurateurs n'y allaient pas de main-morte, supprimant, rabotant, plus grave, modifiant, rajoutant à qui mieux-mieux, altérant l'oeuvre et l'esprit d'origine. D'aucuns se réfèrent aux temps jadis où les styles, parfois dans la même construction, se succédaient, s'imbriquaient, se superposaient. C'est oublier que les constructions ne s'élevaient que quand les financements étaient disponibles, c'était le cas des cathédrales par exemple qui ne prenaient vie qu'au long de quelques siècles.

De nos jours de nouvelles conceptions sont apparues, nées du souci de rappeler un temps révolu, un passé sans doute enjolivé quelque peu, surtout un souci d'authenticité, de préservation d'un savoir-faire, d'une culture, d'un art de vivre que les spécialistes modernes tentent de faire se perdurer.

Les peintres se contentent (si l'on peut dire) de nettoyer les tableaux et les fresques qui leur sont confiés, de remplacer les vernis jaunis par des produits plus stables, de combler les manques par de petits points de pigments. Les architectes consolident les pierres vénérables au moyen de résines invisibles à l'oeil du quidam mais pas à celui de l'expert. Les ébénistes marquent les parties remplacées. Les mosaïstes de Saint Romain en Gal dans le Rhône, face à Vienne, recollent les tesselles qui peuvent l'être mais laissent béants les emplacements où elles ont disparu.
La règle générale est donc de récupérer le plus possible de morceaux d'origine, de les replacer et les consolider, le remplacement par l'ajout de pièces récentes ne se faisant que très occasionnellement. Et surtout les restaurations doivent être réversibles, c'est-à-dire que l'on doit pouvoir y réintervenir sans dommages pour l'oeuvre. Il faut préserver au maximum l'authenticité de l'objet, les collectionneurs y tiennent essentiellement.

 

Restauration d'une marqueterie de paille

Compte tenu de ce qui précède, le premier soin est d'expertiser l'objet à restaurer, identifier les dommages et leur(s) cause(s). Les pailles peuvent se trouver décolorées, boursouflées, décollées voire perdues. Le support est parfois tellement détérioré qu'il nécessite une véritable reconstruction.

     Causes des dommages

          Variations de couleur

Les plus graves sont dues à des expositions prolongées au soleil, l'ennemi de toute chose teinte, rideau, tapisserie, tableau, couvre-lit etc. Mais le temps qui passe fait son oeuvre, usure d'usage et patine sont les nouvelles livrées de l'objet. Le vif contraste entre l'aspect extérieur souvent terni et la flamboyance intérieure en est la pure illustration.

          Décollements

Ils sont dus à des variations importantes de températures ou à des séjours prolongés dans des résidences secondaires, voire dans des caves ou greniers non chauffés sur de longues périodes, laissant tout le temps nécessaire à l'humidité de faire son oeuvre. Le support bois ou carton travaille et le papier, matériau hydrophile s'il en est, sur lequel la paille est collée, s'en voit endommagé d'autant. La chaleur est également ennemie de la marqueterie car le matériau risque de se déssecher. A chauffage brutal, cata totale, quoi!

          Support abîmé

Aux mêmes causes les mêmes effets. Chaleur et humidité en sont les causes principales.

     A- Restauration du support

Voici l'exemple d'un coffret fin XVIIIème-début XIXème siècle qui a subi les outrages du temps et particulièrement de l'humidité. L'extérieur est délabré, les montants du couvercle sont détachés de l'ensemble, la marqueterie détruite . Il a été nécessaire de le laisser sécher à l'air libre, le plus naturellement possible pour éviter les chocs thermiques, pendant plusieurs semaines. Le travail a ensuite consisté à reconstruire le couvercle en utilisant les bois d'origine et en respectant les modes d'assemblages.

     B- Marqueterie du couvercle

La marqueterie a pratiquement disparu entièrement, seule une partie des filets de bordure a subsisté. La restauration a consisté en un nettoyage soigneux avec une solution eau/ammoniaque à 50/50 passée délicatement sur les pailles à l'aide d'un bâtonnet d'ouate, celui qu'il ne faut pas utiliser dans les oreilles de votre enfant. Cette méthode permet d'enlever toutes les saletés, les poussières qui ont terni la paille, tout en redonnant à celle-ci son éclat perdu. Les dommages sont trop importants pour une restauration complète, elle nécessiterait une nouvelle et totale composition qui ôterait son authenticité au coffret. Bien que ce soit possible car on discerne parfaitement les traces de l'outil utilisé à l'époque. Et, se basant sur les parties conservées, il est loisible de recontituer le décor. Au cours du nettoyage des morceaux de paille, mal fixés, vont se décoller complètement. Il faudra les récupérer et les recoller à leur emplacement d'origine sur une surface enfin propre et sèche.

Les filets de bordure par contre ont été reconstitués avec une grande partie des morceaux d'origine qu'il a été possible de récupérer, complétés par des apports réalisés à l'identique car les couleurs sont les mêmes que celles dont nous disposons aujourd'hui. Les tons bruns ont été obtenus par brûlage au four (voir la rubrique Teinture).

     C- Compartiment interne

Où l'on se rend compte que les marqueteries intérieures, car il faut dire que la marqueterie de paille est la seule à proposer des décors à l'intérieur des objets, dans les moindres recoins, ce qui ne se retrouve avec aucun autre matériau, ces marqueteries intérieures donc ont conservé toute leur fraîcheur, ne déplorant que des décollements dus à l'humidité, ou des petits manques. La surface de ces manques est tellement minime qu'il est permis de les remplacer sans attenter à la vérité de l'objet en raison du très faible pourcentage représenté par rapport à la surface totale. De même pour les filets de bordure qui sont identiques à ceux observés à l'extérieur du coffret. Enfin consolider charnières et ferrures et remplacer les petites "mains" de tissu destinées à ouvrir ce couvercle.

     D- Le fond

C'est la partie la plus difficile à traiter, surtout dans le cas de grande profondeur comme dans ce coffret, les petits morceaux de paille étant d'un accès moins aisé. Commencer par un nettoyage soigneux, tel que décrit précedemment. Puis recoller les pièces du décor tout ou partie décollées. La fluidité de la colle permet de l'injecter sous les parties bombées, boursouflées. Dans le cas contraire, il faudra les décoller avec précaution pour ne pas les abîmer sinon les casser; les repositionner et mettre le tout sous un poids, le temps du séchage de la colle.

Il restera à reconstituer les filets de bordure en tenant compte des principes du précédent paragraphe. En en profitant pour redonner vigueur à la partie intérieure du couvercle sur laquelle devait figurer à l'origine un miroir de courtoisie qu'il a été décidé de ne pas remplacer à cause de sa trop grande surface. Il aurait été tellement préférable de disposer du miroir d'origine même brisé, un miroir tout neuf aurait dénaturé l'ensemble. Hélas, il avait disparu!

Il va de soi que le remplacement de morceaux manquants répond aux mêmes méthodes d'élaboration qu'une marqueterie contemporaine, avec la plus grande exigence quant à la rigueur d'exécution. Il faudra retrouver les teintes identiques, bien relever l'empreinte de la pièce à reconstruire, nettoyer avec soin la zone où il doit prendre place en l'humectant (eau/ammoniaque) légèrement pour supprimer les traces de papier et de colle anciennes, tenir compte des différences de niveau, principalement à hauteur des filets composés, au besoin en rajoutant des épaisseurs de papier puisqu'il sera impossible de mettre l'ensemble sous presse dans le cas du coffret.

 

Nettoyage des pailles

Il arrive qu'un objet parvienne physiquement intact jusqu'à nous, seuls les outrages du temps auront terni ses atours, les couleurs seront passées, recouvertes d'une patine jaunie, souillées de saletés et autres horreurs. La restauration consiste alors à seulement redonner à cet objet tout son lustre passé par un nettoyage approprié.

Il existe plusieurs façons de nettoyer ou de raviver un objet en paille, qu'il soit recouvert de paille comme en marqueterie, ou qu'il soit entièrement constitué de ce matériau comme en vannerie ou en chapellerie.

     Marqueterie

Le nettoyage s'impose comme la première chose à faire dans tous les cas de restauration. Un objet ancien a, au cours des ans, accumulé une certaine couche de déchets et de saletés qui ternissent son aspect, masquant ses couleurs et même certains détails de la composition. La solution consiste à préparer une solution d'eau et d'alcali volatil dit ammoniaque, à 50/50, que l'on va passer délicatement, à l'aide d'un coton tige, sur la partie à nettoyer. Faites preuve de patience, ayez la main légère pour ne pas arracher des pièces plus ou moins bien fixées et qu'il faudra recoller.

A défaut d'ammoniaque (attention aux vapeurs, ces sels qui ranimaient les élégantes défaillantes du XIXème siècle), on peut compter sur l'alcool (vinaigre, alcool à brûler) qui a la particularité de dissoudre les particules de colle et de saletés mais qui me semble moins efficace quant au ravivage des couleurs.

Si l'objet n'est pas très sale, la salive, la vôtre, ou bien la salive artificielle, celle de votre pharmacien, du moins de son officine, donnent d'excellents résultats.

     Vannerie

Il est possible de nettoyer la paille et le rotin avec une éponge imbibée de lessive St Marc.

Autres solutions:

Si vous trouvez en droguerie 1 kg de son, plongez-le dans 6 litres d'eau bouillante pendant 1/2 h. Laissez refroidir et filtrez. Ajouter 1 cuillerée d'ammoniaque par litre, passez à l'éponge, rincez.

Si vous résidez du côté de Menton, récupérez tous les citrons utilisés pour le Carnaval, pressez 2 cuillers à soupe par litre d'eau, passez à l'éponge, rincez.

Si par contre vous vous trouvez en Camargue, dirigez-vous vers les Salines. 4 cuillerées de gros sel par litre d'eau seront nécessaires.

Vous, les Normands, laverez les nattes blondes, en paille, pas celles de vos filles, avec du lait cru.

En d'autres lieux, certains préconisent, après l'eau citronnée, de saupoudrer légèrement la paille avec de la fleur de soufre qu'il faudra brosser après séchage.

Mais d'autres ne manquent jamais d'ajouter un blanc d'oeuf dans l'eau citronnée.

Enfin la paille noire demande un dépoussiérage préalable. Puis on applique au pinceau une solution d'eau tiède + gomme arabique + noir de fumée en poudre.

     Avertissement

Ces recettes, qui ne sont pas toutes de "bonne femme", exigent bien entendu un petit essai préventif absolument nécessaire pour éviter tout ennui éventuel. Souvenez-vous que la paille, matériau naturel, réagira toujours en fonction de sa propre "histoire".

 

CONCLUSION

Restaurer un objet ancien est un acte qui n'est pas innocent. Il ne s'agit pas de simplement remplacer des morceaux manquants ou abîmés, non, il s'agit de redonner vie à un objet qui a une histoire. L'histoire du motif de sa création, ce sont souvent des déclarations d'amour, il suffit de lire les dédicaces; l'histoire de son créateur que l'on arrive, parfois, à suivre à travers sa signature, ou alors sa manière, son style, le font reconnaître; l'histoire du destinataire de l'oeuvre car il arrive que ces objets se passent de parents à enfants, ou bien on y découvre des messages qui les accompagnent; l'histoire d'un art, d'une culture, d'une époque.

Ce n'est pas sans émotion que l'on retrouve les façons de nos prédecesseurs, que notre scalpel reconnait les sillons d'origine, que l'on s'acharne à retrouver quel miracle ou quelle alchimie ont pu opérer pour obtenir telle teinte.

Il ne faut pas y rechercher une dimension mystique, mais simplement, en respectant et en pérennisant leur art, de rendre hommage à ceux qui ont participé avant nous à la construction d'une culture, d'un art de vivre dont nous leur sommes redevables.