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La marqueterie de paille et les auteurs classiques

LES LAMENTATIONS DE MARQUETO

ou

Le blues du marqueteur

 

Marqueto seul

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !

N’ai-je donc tant vécu que pour cette presbytie ?

Et ne suis-je blanchi dans des travaux variés

Que pour voir un beau jour mes cheveux anémiés ?

Ma main qu’avec respect ma petite fille admire,

Ma main qui tant de fois en a vu de bien pires,

Tant de pièces obligée de couper plusieurs fois,

A gardé des séquelles en vieillissant comme moi ?

Que de cruels soupirs je me sens exhaler !

J’œuvre depuis des jours sans jamais arriver,

Nouvelle frilosité en face de mon cutteur,

A couper cette paille, objet de mon malheur.

M’en faut-il voir l’éclat chatoyer en nuances

Et rater ma découpe, invoquant la malchance ?

Ma fille, prends le scalpel, corriges cette erreur.

Je ne veux pas, aux JIM (1), montrer mon déshonneur

Malgré tout mon orgueil, tu parles d’un marqueteur !

On dirait que mes coupes sont faites au sécateur !

Mes pièces sont chantournées comme à la tronçonneuse

Et c’est pourquoi ma mine te semble si malheureuse.

Je ne peux plus user semblables instruments,

Décorer des objets de si beaux ornements,

Disposer mes filets, coller mes mosaïques,

Créer tous ces tableaux passant pour magnifiques.

Quoiqu’il dû m’en coûter, alors, beau brin de paille

Nous devons nous quitter, il faut que tu t’en ailles.

Va, quitte désormais l’orbite de ma main,

Rejoins celle de ma fille sans attendre à demain.

S’il ne devait rester, ce qu’à Dieu ne plaise

Qu’une seule création dont je serais bien aise,

Je sais que ce sera, à ma grande fierté,

Toi, qui guides mon bras, présente à mes côtés.

 

(Arrive Marquette, la fille de Marqueto)

Marqueto

 

Ma fille, as-tu du cœur ?

Marquette

Tout autre que mon père l’éprouverait sur l’heure.

Marqueto

Voilà une réaction qui calme mon humeur.

Tu es comme ton père, pour son plus grand bonheur.

Tes ardeurs juvéniles sont telles que me remontent

Les heureux souvenirs comme ceux qui me démontent.

Viens donc m’aider.

Marquette

A quoi ?

Marqueto

A finir ce tableau.

Ou alors je le laisse aller droit à vau-l’eau.

Ce cutter affûté, j’en ai visé la lame

Mais mon âge a trompé mon évidente flamme.

Je voudrais bien pourtant de cette œuvre en finir

Et peut-être, grâce à toi, pourrai-je y parvenir.

J’éprouve tant de peines à terminer l’ouvrage !

Tout couvert de sueurs, j’en éprouve de la rage.

Coupe ou jette cette pièce ! Si tu veux t’occuper,

Saisis-toi de ce brin et vas donc le couper.

Mais fais bien attention : la charge est délicate,

Les lames de cutter n’aiment pas le silicate.

J’en ai beaucoup usés, des ciseaux, des scalpels,

Tant en nouveautés qu’en de nombreux rappels.

Aides-moi, je t’en prie, à finir ce tableau ;

Je te sens déjà prête à reprendre le flambeau

Sur toi je puis compter. Ainsi, si tu le veux,

Je pourrai, par tes soins, jeter mes derniers feux.

1: Journées Internationales de la Marqueterie

(Merci à Pierre Corneille)

Gérard Morin

 

 

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